1962 un aller simple
Pour quelle raison demander aux amis du Ruisseau de la ville d’Alger, de se souvenir, de leur passage de l’Algérie, à la France ? N’ont-ils pas essuyé suffisamment de larmes pour les solliciter à nouveau ? Ce temps lointain, resurgi, leur permettra de rétablir l’authenticité d’une vie dans cette Afrique du Nord, ouverte alors à toutes les âmes de bonne volonté, faire comprendre, aux enfants, comment des hommes et des femmes, venus des horizons les plus divers, ont cohabité dans un total respect du voisin, lui aussi arrivé par bateau d’un des ports de ce bassin méditerranéen. À ceux, français de métropole, ayant pris des positions de défense des uns, et de rejet des autres, sans rien connaître du contexte véridique, un conseil sincère - Méditez ! L’ignorance entraîne une ingérence injuste qui provoque, chez l’innocente victime, le désarroi, une souffrance, une punition injustifiée.
Extrait: un des témoignages
Ce n’est pas sans raison que je suis venue sur Terre dans cet endroit du Monde qui me verra fuir vers d’autres cieux. Il me fallait, un temps, ce contexte-là pour m’enrichir des vraies valeurs de l’humanité.
Je suis née en 1943, à Alger, plus précisément à la Consolation avenue Malakoff. C’est, au sein d’une cité populaire, un ensemble de merveilleux immeubles, qui abritent des familles venues-là, de tous les horizons. Elles resteront à jamais, gravées en moi.
J’éprouve, pour Bab el oued, et le Ruisseau, les deux cités qui bordent Alger, la capitale, d’est en ouest, un amour démesuré.
Peut-on s’attacher à ce point à un endroit, simplement parce qu’il nous a vus grandir, rire, pleurer, jouer, où le simple fait d’entrer dans le faubourg, nous apaise, ces HBM -Habitation Bon Marché - dont l’ambiance nous fait humer le bonheur qui s’incruste sans qu’on le lui demande, où dans la cour, je suis déjà chez moi. Cet attachement au lieu- dit, est, à un tel point que lorsque le départ s’impose, que l’exode devient inéluctable, je me trouve, à moins de vingt ans, anéantie.
Il s’en suivra quelques années de traitement pour un état dépressif, tout en montrant à autrui, un entrain, une personnalité pour qui l’obstacle n’est jamais insurmontable.
J’emménage dans cette France, décrite par mon père comme une patrie dont nous devons être fiers. Je n’y retrouve aucun repère, je me sens étrangère à ce nouvel environnement, tout en réalisant que je suis, ici, dans— mon— pays.
Mon pays, peut- être, mais ma maison ?
C’est Alger, ma maison. Je veux retourner à la maison !
En cet après 1962, pendant quasiment vingt années, mon chez-moi reste Alger.
En 1982, Il me faut ce retour dans ma cité, pour voir, et comprendre qu’il est grand temps de continuer la route, tout en gardant, maintenant dans l’apaisement, au creux de mes pensées, mon passé.
Est-ce le fait que la vie impose, les enfants venus, le besoin de mener le quotidien dans cette métropole, enfin acceptée, pour l’équilibre de la progéniture qui ne connaitra de l’Algérie de ses parents que ce qui voudra bien être narré. Leur vie est de ce côté-ci de la Mer, ils auront les mêmes effets avec la ville qui les a vus naître, Chambéry, que ceux des miens ressentis là-bas. A chacun son ancrage !
Nous apprendrons une fois l’indépendance, non conquise mais donnée, qu’on a tu, certaines tueries perpétrées avant 1900.
En 1962, on a fait fi de la juste répartition de ce pays, entre les uns et les autres de ceux revendiquant d’être considérés, compte tenu de leur appartenance à cette Terre, depuis des milliers d’années, comme les ayant- droit à la responsabilité du destin de l’Algérie.
Entendons par là, les Berbères, kabyles, et mzabites, et Juifs d’Algérie.
C’est, aussi, relever les invraisemblables tractations pendant que le sang coulait à flot, sans se préoccuper de l’équité qu’un peuple, toutes pensées religieuses confondues, est en droit d’attendre.
Ces métropolitains des années cinquante, et soixante, qui, eux, se considèrent comme légitimes au sein du peuple français, tout en étant reconnus français, de fraiche date, une, deux générations, et qui refusent, avec virulence, cette même légitimité, aux européens d’Algérie, dans l’endroit depuis trois - quatre générations, traitant des ouvriers, agriculteurs, habitants d’habitation bon marché, le plus bas de l’échelle sociale, mais le plus conséquent aussi, de colonialistes. Entendre cela de la bouche de nantis, c’en serait risible s’il n’y avait pas eu autant de drames dans le contexte des évènements vécus.
Ce que je retiens de ma vie Algéroise, est une cohabitation extraordinaire, dans un climat partagé entre les attentats meurtriers, mis longtemps volontairement de côté, pour pouvoir vivre sans l’ombre d’un souci, cette ambiance merveilleuse, des voisins, amis au sein du même peuple pratiquant l’acceptation des coutumes des uns et des autres. Cette entente des diverses communautés, sera contestée par des gens qui n’ont jamais mis un pied en Algérie.
Hier l’Algérie, aujourd’hui la France, mais que dois-je encore vivre ?
La Providence me guidera là où doit se terminer mon passage terrestre. Dieu y pourvoira !
Avant le départ précipité, que s’est-il passé, dans ces presque vingt ans d’existence ?
Il s’est passé qu’on a bien voulu m’offrir la vie, avec tout ce qui a englobé mes rires, mes peines, mes joies, mes découvertes, l’horreur de l’hypocrisie, la possibilité d’avoir de nombreux amis, celle d’ouvrir mon esprit par des questionnements, des évènements qui vont me permettre de mettre des mots sur certains maux des hommes et de la société. Et surtout, ce cadeau extraordinaire qui se nomme, en ce qui me concerne, une cohabitation organisée par la France dès 1830, avec la bonne grâce de ceux sans qui, rien n’aurait pu se construire, en Algérie : le Petit peuple ! Connaître l’autre, se faire connaitre de l’autre.
Alors pourquoi tout s’est-il terminé dans le désespoir ?
Parce que nous avons été confiants, à la limite de la naïveté. Nos anciens n’ont pas compris, au début, que certaines personnes, une minorité, c’est vrai, rusaient, tramaient, un plan tout en faisant semblant d’être à l’aise dans une citoyenneté française apparemment consentie.
Parce qu’aussi, il me fallait savoir ce qu’un être ressent lorsqu’il est chassé de chez lui par sa propre famille, en l’occurrence, le comportement des hommes à la tête de l’Etat Français, lorsqu’en plus, on lui met une étiquette qui ne lui appartient pas.
Un exemple tout bête : Monsieur Benamara, du Ruisseau, et Monsieur Romanino de Bab el Oued, tous deux collègues de travail à la Mairie d’Alger. L’un est traité de colon, l’autre de victime. Pas, par des ignorants, des gens du peuple qui ne s’intéressent pas trop à la politique, mais par des initiés, engagés politiquement, crédibles aux yeux des auditeurs et des téléspectateurs français. N’est-ce pas là une désinformation volontaire dont le seul but est, non l’équité, mais l’issue d’un engagement politique ?
Une véritable honte !
Il faudra donc enseigner à la descendance, un vécu, un ressenti, une injustice, une douleur, dans le but de lui faire chercher le véritable bonheur sur Terre. Celui qui se trouve… En lui, où qu’il soit par le Monde. Faire comprendre aussi de garder précieusement une amitié, ne pas juger sans savoir, cette pratique dont nous, européens d’Algérie, Harkis, avons été victimes.
Les étapes de ma vie algéroise
1/ Une naissance qui donnera à la petite fille que je suis, la possibilité d’évoluer dans un milieu où se trouvent, réunis dans un même lieu, des peuples venant de partout, spécialement des pays méditerranéens. Un lieu où elle saura très vite qu’il existe plusieurs spécificités culturelles, confessionnelles, dans une même cité, un même immeuble, sur le même palier du dit immeuble.
2/ une amitié donnée, reçue, sans tenir compte des idées politiques des parents des unes et des autres, dans les classes des écoles ouvertes à toutes et tous.
Ensemble, pour l’école, les colonies, les jeux, le dispensaire pour les vaccins ou les visites médicales… La vie !
Amitié qui s’étend aux copains copines des cours des cités, dans les mêmes conditions que celles nommées plus haut.
3/ Une conscience qui s’ouvre, dès la connaissance de ces drames qui engendrent, depuis 1954, tant de morts au quotidien.
4/ Un choix de Patrie : la France ou l’indépendance ?
La France !
5/ La nette constatation d’une désinformation, en métropole, dans le seul but d’appliquer la politique du refus de la réalité, compte tenu des accords de dessous de table, donc non connus du public, mais réels, d’une contrepartie :
vous lâchez l’Algérie, sans cesser des accords qui permettraient à la France de rester bénéficiaire, obligations en moins.
Mensonge d’une diplomatie dictée par certains pays d’Orient, la Russie de Khrouchtchev et sbires, l’Amérique de Kennedy, acceptation des dirigeants français pour qui, perdre une colonie sur tant d’autres qui rapportent un intérêt de maintien de la France, outre- mer, n’est pas important. Grave Erreur !
6/ La volonté de bien différencier Politique et Peuples qui cohabitent. Le refus de céder à la colère qui engendre la haine, mais le courage de se défendre contre les barbares qui continuent les tueries, ces assassins qu’on fait passer pour des combattants, j’entends par là, les poseurs de bombe, ceux qui jettent des êtres vivants dans la chaux vive, qui mettent les parties génitales dans la bouche d’un cadavre militaire ou civile, après l’avoir égorgé, tant d’horreurs qui obligent la communauté musulmane, à ne plus faire d’autre choix que celui de la peur, en se positionnant, pour une bonne partie, pro indépendance.
En mon âme et conscience, je sais que je ne possède pas, en moi, l’ombre d’un racisme. Je ne peux pas en dire autant, certes de quelques -uns, de mon peuple, à ma grande peine, mais, ne l’omettons pas, de certains au sein du peuple aujourd’hui algérien.
Le racisme, entre eux, existe… N’ai-je pas entendu, en 1982, de mes oreilles, une amie du Ruisseau, me parler d’une merveilleuse famille du Mzab : Ils ne sont pas comme nous, ils sont noirs. Mon frère, en a épousé une, c’est triste ! Cela m’a été insupportable d’écouter une telle ineptie, d’autant que dans la famille en question, les enfants sont très beaux.
Anti Noir – Anti-Blanc – anti ceci – anti cela – La bêtise humaine va loin !
Je suis sur le bateau qui m’emmène loin de cette Terre qui était ma joie de vivre, qui a forgé mon caractère, ma personnalité, permis d’espérer.
Ceux restés, croyant, selon les promesses reçues, accéder à des postes clés, recevoir plus, beaucoup plus, s’aperçoivent, un jour, de la stratégie mensongère, constatent que leur vie loin d’être améliorée, devient plus que difficile, alors qu’une minorité s’enrichit. Je peux les rassurer, c’est de partout comme cela. Le Monde est ainsi fait !
Ce que je retiendrai de ma période africaine : avant le désespoir, l’immense bonheur pendant mes vingt premières années, d’avoir pu respirer :
L’air de cette Algérie, au sein d’une France, aimée.
Extrait vidéo: